1
à Pascale ma femme
à Valentin mon fils
à Margot ma fille
à mes parents à ma famille
aux marins aux soldats
aux victimes aux mères
aux clowns aux fous aux sages
aux blondes dans la lune
aux brunes du Monde
aux enfants de tous âges
aux fleurs aux arbres aux pierres
aux serpents aux lions aux cerfs
à tous les êtres de la création
à l’eau des rivières des mers et des océans
aux montagnes de mon grand-père
au ciel aux étoiles
à Mars Vénus et Jupiter
à notre Lune à notre Soleil
à la vie à la mort
à l’amour aussi
à ceux qui ont été
à ceux qui sont
et à ceux qui seront
je dédie ces quelques pages
ces mots ces images
ces maux si sages
ces chavirements
de mon imagination
1
La vieille est partie
Elle a mis ses lunettes
elle a pris ses aiguilles sa laine et ses bijoux
puis elle est partie
Elle est partie je ne sais où
Elle est partie voir du pays
boire quelques verres de vin doux
mais elle est partie
Elle est partie revoir son vieux la vieille
2
poème automatique 1064
Je suis allé au bistrot du coin où j’ai des dettes depuis plusieurs millénaires
Sur le comptoir gras j’ai bu tout mon or et j’ai joué aux cartes
j’ai joué jusqu’à plus soif
Je suis sorti j’ai mis les pieds dehors
j’ai foutu le feu à un réverbère et puis j’ai frappé
J’ai frappé la nuit j’ai frappé la lune deux yeux au beurre noir
Quelle connerie
3
poème automatique 2710
Et que ta vie soit ton royaume
où que tu ailles quoi que tu fasses
Et que ta vie soit ton royaume
et ton terrain de chasse
4
La vie danse au rythme des passants
qui vont qui viennent comme les ans
Et Valentin sur le goudron danse
innocemment sans crainte il s’élance
et sous ses pieds dans la poussière
quatre vingt quatorze est fier
et Valentin chante ce refrain
quatre vingt treize
finit demain
5
Un ver vert vêtu de vair vert rampait vers un verre vert
6
La tête à la fenêtre du train de Marquèze
Valentin regarde partir quatre vingt treize
dans la lumière de midi Sur le quai pavé de la gare
quatre vingt treize au terminus deux valises part
L’une bleu ciel est remplie des rêves d’hier
l’autre jaune est gonflée des rires à venir
Dans la lumière de midi Valentin fier
observe la vie qui court à n’en plus finir
7
Le dos au soleil plein de frissons
loin des ports innocent moussaillon
insouciant du temps au fil des heures
le dos au soleil matin bonheur
Valentin loin des ports insouciants
Valentin joue avec l’air du temps
8
À Contis plage dans le sable blond
dans la grisaille d’un matin de plomb
Valentin égraine le temps maussade
dans le brouhaha des vagues malades
sous une pluie fine le vent au front
de ses quatorze mois tout juste ronds
9
À tous ceux qui jugent qui condamnent et qui pendent
je suis coupable d’être resté un enfant
à tous ceux qui tuent et qui volent la violence
n’a jamais de place dans la main d’un enfant
À tous les enfants de la création au Monde
à tous ceux qui souffrent de la faim de la guerre
aux clowns aux fous aux sages aux victimes et aux mères
aux blondes dans la lune aux brunes dans le monde
j’offre un regard d’enfant parce que l’avenir
y est si grand que le temps s’y arrête rire
jouer au présent passer rire encore une fois
parce que qu’il soit noir qu’il soit blanc il envoie
aux quatre-vingt-dix coins des cinq continents
les couleurs libres de la vie aux yeux des gens
10
Totem
Bois mort figure figée
Totem
Garde du temps simple soldat
Totem
Roi des croyances des craintes envolées
11
Dans un paradis de verts et de bleus mêlés
où les arbres sont des parasols là plantés
une femme superbe en jupe plissée
fendue moulant ses fesses félines musclées
la main au front coude sur le genou posé
un sourire aux lèvres de bonheur installé
parce que femme elle s’enivre des secrets
Un sourire aux lèvres de bonheur installé
de l’autre main elle tient un verre gorgé
petit doigt par-dessus l’annulaire croisé
Le regard brillant de malice décidée
elle le renverse sur sa chair sucrée
peau éclaboussée de caprices susurrés
parce que femme elle désire les secrets
Peau éclaboussée de caprices susurrés
une mèche blonde sur ses yeux retombée
jusqu’à sa bouche de rouge pourpre fardée
entrouverte effrontément pour être goûtée
Sa poitrine ronde de dentelles cernée
s’offre sous sa chemise de soie rose dégrafée
parce que femme elle éveille les secrets
De sa chemise de soie rose dégrafée
un parfum sagace s’envole un peu sorcier
comme un éclat de rire derrière elle laissé
Je la désire nue dans la poussière d’été
mais autant de mystères par elle exhalés
ne me suffisent pas à la déshabiller
parce que femme elle se pare des secrets
12
Surprise Partie
Elle est partie
de son côté
vivre sa vie
à son idée
Je m’suis surpris
à m’regarder
avec l’envie
de m’suicider
13
Lit de lune un soir de vin
La lune boit jusqu’à plus soif
son désarroi qui la décoiffe
Sous son crâne lourd la tempête
gronde rugit lui casse la tête
La lune pleure petit matin
le ciel vert gris et lie de vin
inonde les rues noires folles
d’une pluie qu’empeste l’alcool
14
Un homme une femme
tendrement mélangés
le ciel dans l’âme
sur un lit dévoré
sur un lit malade
de soupirs inachevés
le cœur marmelade
les jambes tressées
les jambes intrépides
de caresses égarées
leurs bouches humides
de cris mesurés
de cris en flamme
de baisers assoiffés
un homme une femme
étrangement étrangers
15
Je veille et je fume
la fumée embrume
mon cerveau lavé
Et sur le bitume
s’éteignent et s’allument
mes larmes noyées
Tu t’es envolée
tu m’as oublié
sur cette Terre bleutée
Sous l’or de ma plume
l’encre noire inhume
des rimes glacées
Dehors l’amertume
de l’air parfume
ce poème raté
Sur ton lit de brume
les mots se consument
mais mon regard mouillé
t’accompagne pour l’éternité
16
à Henri de Toulouse-Lautrec-Montfa
Des femmes superbes racées en jupes fendues serrées
les courbes de leurs jambes dessinées hypnotisé
je les suis des yeux imaginées pures nonchalantes
amantes aimantes et enivrantes
pleines de gestes sensuels
Leur pas invitant à les suivre dans les rues
sur le trottoir ou quelque part ailleurs
sur une toile pour l’éternité
17
à Amédéo Modigliani
Les mains crispées sur ta poitrine qui se soulève
et se déchire tu hurles au soleil ta douleur
au rythme irrégulier des années et des heures
Le sang jaillit de tes poumons jusqu’aux lèvres
alors tu bois pour oublier ce maudit rêve
tu bois pour oublier cette épuisante plèvre
Pris au désespoir par d’éthyliques hallucinations
tu vois d’étranges visages dans le ventre
des bouteilles que tu vides jusqu’à l’antre
Que tu vides comme les yeux bleus éperdus
des filles que tu allonges en cravates ou nues
sur d’innombrables morceaux d’étoffes de lin
Alors tu peins pour oublier ce maudit rêve
tu peins pour oublier cette épuisante plèvre
Tu accroches des visages qui se penchent
à des cous qui s’allongent sous les coups du destin
Tu te retrouves toi-même allongé sur un lit
tes yeux bruns d’italien vides comme tous les yeux
des tableaux que tu vides jusqu’au bleu jusqu’au rien
Tes mains crispées sur ta poitrine qui se soulève
et se déchire tu réclames en partant ta chère Italie
Alors tu pars pour oublier ce maudit rêve
tu pars pour oublier cette épuisante plèvre
De tes poumons le sang jaillit jusqu’aux lèvres
18
Quand la musique est douce comme ça
jusqu’à l’overdose
et que la nuit les bois virent au rose
quand la musique s’inscrit comme ça
sur Notre-Dame au parvis
et que la nuit Quasimodo secoue les cloches dans sa folie
quand la musique revient comme ça
de l’aube jusqu’à l’aurore
et que la lune pleine salue ton corps
et que brille la rosée
et que brillent les rues pavées
je chante encore les lumières de ma vie
loin de la mort qui nous guette et qui me suit
19
Un grain de poussière pour expliquer la vie
un courant d’air pour expliquer l’amour
un morceau de terre pour expliquer la mort
et une goutte d’eau pour sécher tes larmes
20
Sirènes et vipères les gars de la mer
quand ils embarquent leur destin
au long de leurs rêves amers
quelques soleils clandestins
rien de plus ni joies particulières
rien de rien ni chagrins fous
Vipères et sirènes les gars de la mer
Vipères et sirènes les gars de la mer
aux crépuscules incertains
la mer avale les pleurs
la terre hurle les heures
Ils rament sous les vents fous
Ils chantent loin de la fourmilière
Ils ont du sang plein les mains
le chanvre est violent
et de l’eau dans la voix
l’écume et les embruns giflent
sirènes et vipères les gars de la mer
Sirènes et vipères les gars de la mer
quand ils embarquent leur carcasse
la mer lave leurs cheveux
la mer sale leurs festins
mais las tenaces ou vainqueurs
ils l’ont dans le cœur
cette eau profonde et vivante
qui les emmène et les ramène
et ne les ramène pas quelquefois
sous les vents fous et hurlants
les gars de la mer vipères et sirènes
21
J’ai joué ma mort
sur quelques planches jetées là
avec du sang avec des mots
avec du fard sur la peau
J’ai joué ma mort
un vieux jean râpé agenouillé là
ton visage près de moi posé sur du papier photo
un projecteur braqué sur la peau
Cette vie déjà vécue la fraîcheur glacée de l’éternité
des gouttes d’eau sur le cœur larmes coulées
comme une pluie sans nuage
le rêve d’un rêveur sage
22
L’Amour morose
L’amour n’est pas toujours fait de mots roses
et dans ces instants mourir d’overdose
n’est pas troublant même si la mort ose
23
Ce n’est pas pour ton cul tes seins ta gueule
mais pour toi tout entière que j’t’aime
Toi morceau de vie que j’étreins en rêve
et qui me titille l’esprit à l’infini
24
Saveurs bourgeoises
valeurs sournoises
Ce matin j’ai déjeuné tard
d’un bol de caviar
et d’un verre de lait
Encore ce maudit cauchemar
c’que c’est dégueulasse le caviar
heureusement qu’il y a le lait
25
poème automatique 0865
Omelette
Le jaune le blanc la neige le fer le sang
doivent être battus
Le pétrole grille le beurre fondu
Homme let it be
L’assiette est blette la terre un peu mûre
mur et tombe un peu
Le pétrole drague les voitures
Vois-tu les simples feux
verts rouges jaunes bleus et clignotants
26
Dans ton ventre où a pénétré mon corps
la vie prend forme la vie prend corps
La chair et le sang respirent lentement
et se tournent le pouce entre les dents
Assis en tailleur l’esprit ailleurs
au creux de toi dessous ton cœur
L’enfant que je que tu attends
s’étire et se love encore un instant
et puis le voilà hurlant plus fort que toi
pour que tu puisses mieux apprécier la douleur
dans ton ventre où a pénétré mon cœur
et la souffrance que le bonheur laisse en toi
27
Le rêve égaré
Le livre ouvert sur les mains assis au bord du lit
Les mots peu à peu se superposent
Les mots s’enchevêtrent vibrent et s’essoufflent
À la file indienne ils quittent la page
Les pages tournent se déchirent et s’envolent
Le livre se vide de son sens les mots redeviennent gouttes d’encre
et retournent à l’encrier qui déborde
Les mots redeviennent pensées
Entre les pages envolées le dormeur du Val
les bottines déchirées aux cailloux des sentiers
danse dans les reflets d’argent et les haillons de lumières moussus
Un fiacre passe et regarde cet homme qui hurle qu’il aime et qu’il s’en va
Qu’il aime des sorcières dans les verres de vin
des sorcières aux cheveux verts sous la lune ronde du Rhin
qu’il aime et qu’il s’en va au vent mauvais Il a deux trous rouges aux côtés
On se souvient des jours anciens en pleurs sous un couvercle bas et lourd
comme un ciel d’araignées au fond de nos cerveaux pourris
Soudain un rire d’enfant vient me réveiller
je suis assis là à la terrasse d’un café
Le rire reprend l’enfant est là c’est Cosette Elle s’enfuit avec le dormeur
elle quitte cette auberge verte Elle rit de bon cœur et Valentin rit avec elle
Valentin c’est mon fiston il les regarde s’en aller
Lui le petit Gavroche de mon cœur l’enfant adoré il rit malgré le vent glacé
et les cris du professeur que un et un ne veulent plus écouter
Il rit des bonnes paroles des grandes inventions il rit avec l’oiseau
avec la craie de toutes les couleurs et le visage du bonheur
Je me suis égaré
Je vous en prie excusez-moi de claquer la porte
et de disparaître dans le vent
Les poètes y sont déjà et Valentin court devant
28
Je voyage au cœur de l’Afrique sauvage
entre les lignes serrées des poèmes Senghoriens
sous un ciel intarissable de bleu indigo
Ciel sans autre nuage que les oiseaux
aux chants rythmés par les tam-tams des Africains
dansant en rondes au milieu de leur village
Les Africaines cuivrées aux longues jambes
marchent seins nus devant mes yeux captivés
et m’invitent d’un sourire nacré à vivre
les plaisirs de leur vie brûlante et ivre
Allongés dans l’ombre de leurs huttes colorées
sur une peau de zèbre Ébène et Ivoire ensemble
29
Il y a dix minutes à peine
Je rêvais
c’est pour toi que je veux vivre
c’est de toi que mon cœur s’enivre
Voilà où est toute ma peine
je rêvais
Un Couture sur la sono
tout seul pourtant je vis pour toi
et puis ces murs vides autour de moi
voilà que je mange en solo
Je rêve
c’est un nouveau Baudelaire
un nouveau spleen dans l’air
des mots durs dans les cheveux d’Higelin
Je rêve
ça fait longtemps que je veux écrire
Maintenant que je l’ai dans la main
ma plume est ivre
Je rêve
la tristesse durera longtemps
maintenant je suis là
demain amer
gouttes d’eau et tout l’fourbi derrière
je rêve
Des questions se fracassent à la dérive
cerveau lavé navire sans capitaine à la dérive
il y a dix minutes à peine
je rêvais
l’eau me rejetait sur la rive
30
Spectateur noctambule
La belle nuit bleu de Prusse encercle ma ville
que mille feux géométriques illuminent
dans le silence bruyant où glissent divines
les silhouettes sombres des automobiles
Peu à peu des feux carrés s’éteignent dociles
pour laisser place aux rêves à l’amour au spleen
Au loin montent les cris d’un pneu qu’on assassine
sur le goudron noir cousu de blanc qui défile
Quelques feux encore allumés forment des îles
certains clignotent sur des tiges sans racine
d’autres se rallument déjà dans les cuisines
L’eau sur la terre brune en tombant fait un fil
mais voilà les premiers pas résonnent routine
humide l’aube envahit les rues de ma ville
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à Arthur Rimbaud
Le rêveur du mal
C’est une plaine alpine aux nuages troublants
où les tourments des hommes libres et fiers s’éveillent
sur des routes qu’ils pratiquent trop souvent
Vieille Terre acide c’est une plaine qui surprend
Les guenilles du Colonel rouillent au soleil
Assassin Libre musique comme la fièvre
un ruisseau de lumière clapote à ses lèvres
sous les cris du métal qui déchire le ciel
L’herbe mort dorée flâne dans ses doux cheveux
la tête renversée le chapeau dérangé
il fait la sieste étourdi par l’ivresse alliée
La brise fine qui danse sous son nez bleu
ne le mouille pas plus que les pleurs d’un enfant
Ostensif il est perforé par le néant
32
Hymne à la nouvelle année
Poème pour l’Éternité
Elle arrive elle est là
mais elle ne fait que passer
Car ses soeurs sont déjà là
en file indienne à se bousculer
Impossible à capturer on la vénère
on la fête avec entrain
en remplissant les verres
avant qu’elle ne reprenne le train
du temps qui la transporte
vers une autre planète
vers son avenir vers une autre porte
À contre courant de notre temps muette
elle nous abandonne pour entrer dans nos mémoires
et devenir une date de plus de l’histoire
Au revoir toi qui ne fais que passer
Au revoir toi qui fais notre passé
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L’usure a cette grandeur
cette beauté intérieure
qui lui donne la couleur de l’éternité
la candeur âpre de l’immortalité
Une autre manière de parler de la patine du temps
des rides sur mon front si blanc
Je m’interroge
Et pourtant là derrière les aiguilles de l’horloge
une seconde de plus une seconde de trop
et le cœur usé par l’amour
une femme fatale la même toujours
m’emmènera connaître l’inconnu
je veux quitter la Terre avec une âme démesurée
à la mesure de l’éternité
34
Le temps prend son temps et il nous prend
et nous nous on ne prend pas le temps
Car le temps ne se prend pas
D’ailleurs il n’est pas à prendre
et pour apprendre cela il faut du temps
35
Post-Scriptum
J’ai mis plus d’amour dans tout ce mal de vivre que tu n’en trouveras tout au long de ta vie
36
Dépôt légal 4ème trimestre 2 001
ISBN édition originale 1994 2-9508760-0-5
ISBN réédition 2001 2-9508760-2-1
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